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30 octobre 2023

Les juges de toute l’UE se réunissent au forum judges@europe pour échanger sur les questions de bonne administration de la justice, de digitalisation et d’État de droit

Réunion

Les 25, 26 et 27 octobre 2023, le REFJ a organisé la deuxième édition du forum judges@europe qui s’est tenu à l’Institut international de Syracuse pour la justice pénale et les droits de l’homme en Italie.

Le forum a réuni des juges de 25 États membres de l’UE, sélectionnés par tirage au sort, ainsi qu’un grand nombre d’intervenants de haut niveau représentants des principales institutions européennes et internationales, dont la Cour de justice de l’Union européenne, la Cour européenne des droits de l’homme, le Conseil de l’Europe et les Nations Unies.

Les débats entre les participants et les intervenants ont eu lieu dans un environnement protégé en vertu de la règle de Chatham House.

Le thème principal de l’événement était la bonne administration de la justice, envisagée sous trois angles différents : « responsabilité des juges sous l’angle de la procédure et de la responsabilité disciplinaires », « responsabilité des juges sous l’angle de la performance dans l’ère digitale » et « responsabilité des juges sous l’angle de la transparence ». Le professeur Richard Devlin (doyen de la Dalhousie Law School, membre de la Société royale du Canada) a exposé dans son discours d’introduction le contexte conceptuel des débats. Il a fait référence à cet égard à la métaphore du « temple de la justice » dont le toit est la confiance du public dans les systèmes judiciaires, et les deux principaux piliers les « ressources » et les « procédures ». Il a décrit les juges comme des « gardiens de la confiance du public » dans les systèmes judiciaires, et les a donc incités à continuer de réfléchir individuellement et collectivement sur les éléments susceptibles de favoriser ou, au contraire, de diminuer cette confiance. Des intervenants de renom ont ensuite présenté en séance plénière les défis auxquels sont confrontés nos systèmes judiciaires dans l’UE. La pertinence du droit dur (constitutions nationales, traités de l’UE et Charte des droits fondamentaux de l’UE, CEDH en particulier) et du droit souple (p. ex. recommandations de la Commission de Venise, CCJE, ENCJ, CEPEJ) a été abordée. Il a aussi été question du défi visant à trouver un équilibre entre le respect des traditions juridiques nationales et la sauvegarde des valeurs communes en Europe. L’importance d’objectiver et d’améliorer l’évaluation de la performance des juges et des procureurs a également été abordée. Par ailleurs, la nécessité d’investir dans le digital et l’usage raisonné de nouveaux outils d’IA pour les accompagner dans leurs missions a été largement reconnue, à condition qu’elle ne porte pas atteinte à des principes clés tels que l’indépendance, la dimension humaine de la justice recherchant l’équité et le contrôle de la « configuration » d’entrée et de sortie des données pour préserver la légitimité et la qualité de la justice. Les présentations ont également porté sur des questions contemporaines majeures telles que le rôle des présidents de tribunaux en tant que gestionnaires, les fonctions de supervision des conseils de justice ou la nécessité de trouver un équilibre entre une demande accrue de transparence de la justice et le droit à la vie privée des juges et des procureurs.

En outre, 12 ateliers spécialisés (par groupes d’environ 15 participants) ont permis aux juges participants d’échanger leurs points de vue sur des cas réels ou des faits inspirés de cas réels. Les ateliers ont couvert un large éventail de thèmes, étroitement liés aux présentations en séance plénière, notamment la responsabilité disciplinaire pour « faute » ou « sous-performance », les garanties procédurales entourant la procédure disciplinaire, la digitalisation du processus judiciaire, les promesses et menaces des outils d’IA appliqués aux fonctions judiciaires, à l’éthique judiciaire ou à la justice prédictive. Les débats entre participants, particulièrement riches et passionnants, leur ont permis de partager des expériences et de mettre en lumière des éléments de convergence, des points d’intérêt ou d’inquiétude communs et, parfois aussi, des conceptions différentes des thèmes abordés. Les principales composantes de chacun des ateliers, y compris les données statistiques obtenues grâce à l’utilisation de Mentimeter, ont été partagées par chaque animateur d’atelier en séance plénière.

Prospective : développement de nouveaux supports de formation pour l’ensemble des juges européens

La Secrétaire générale du REFJ, Mme la juge Ingrid Derveaux, a souligné l’ambition du réseau de poursuivre cette aventure, cette rencontre de juges venus des quatre coins de l’Europe afin de défendre et porter ses valeurs et renforcer ensemble cette communauté judiciaire européenne au service de l’État de droit.

Dans ce contexte, le REFJ et le Programme du Conseil de l’Europe sur l’éducation aux droits de l’homme pour les professionnels du droit (réseau HELP) développeront un cours en ligne à partir des documents de formation utilisés lors de cette édition de judges@europe. Le cours sera mis gratuitement à la disposition de tous les professionnels européens de la justice. Le REFJ publiera également un recueil des différentes interventions des experts ayant participé à cette édition du forum, ainsi que des conclusions générales résumant les principales orientations ayant émergé des discussions lors des ateliers et avec tous les participants à la séance plénière.

L’objectif principal de ces deux instruments est d’accroître la portée du forum et de diffuser des contributions présentant un intérêt pour l’ensemble de la magistrature européenne.

Judges@europe, un événement fondé sur la confiance et la coopération

Le REFJ a eu l’honneur d’être chargé par la Commission européenne d’organiser cet important forum, créé à la demande du Conseil de l’Union européenne dans ses conclusions « Renforcer la formation des professionnels de la justice » (8 mars 2021).

Cette deuxième édition de judges@europe a été développée par un groupe ad hoc comprenant les écoles de formation judiciaire de Bulgarie (NIJ), de France (ENM), d’Italie (SSM), du Portugal (CEJ) et d’Espagne (Escuela Judicial), ainsi que des représentants de la Cour de justice de l’Union européenne, de la Cour européenne des droits de l’homme, de l’association Magistrats européens pour la démocratie et les libertés (MEDEL), de l’Association de juges administratifs européens, du Réseau des présidents des cours suprêmes judiciaires de l’UE et du Réseau européen des conseils judiciaires.

Citations

Dans son allocution d’ouverture, la secrétaire générale du REFJ, Mme la juge Ingrid Derveaux, a souligné : « L’indépendance ne signifie pas l’absence de responsabilité. Le juge et la justice eux-mêmes sont responsables devant les citoyens de la bonne exécution de leur mission. C’est cette responsabilité qui établit aussi la confiance de la société dans sa justice. La justice doit fonctionner correctement et être bien administrée. Les États ont le devoir de s’assurer que les juges ont les moyens d’accomplir leurs missions. Et je ne parle pas seulement des moyens matériels. La formation judiciaire doit accompagner les juges sur cette ligne de crète entre indépendance et responsabilité, au service de l’Etat de droit.».

Martin Kuijer, juge à la Cour suprême des Pays-Bas et membre de la Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise), a souligné que les sujets abordés lors de ce forum étaient étroitement liés à la préservation de la valeur de l’État de droit en Europe. S’appuyant sur sa position d’observateur privilégié au sein de la Commission de Venise, il a exposé les raisons pour lesquelles il convenait de ne pas se reposer sur nos « acquis » à cet égard et de rester vigilants face à toute évolution importante en Europe comme l’érosion de la confiance du public dans la justice.

Stanislas Adam, Référendaire à la Cour de justice de l’Union européenne, a souligné l’importance d’encourager « la confiance du public dans la justice dans une société démocratique » dans l’espace juridique européen à travers une réflexion commune sur la responsabilité judiciaire. Il a expliqué le rôle essentiel joué par la Cour de justice de l’Union européenne ces dernières années en tant que « rempart contre l’abus de procédures disciplinaires en tant qu’instrument de contrôle politique des décisions judiciaires ». Il a ainsi mis en avant l’exigence dans la jurisprudence que toute mesure – formellement considérée comme disciplinaire ou non – ayant de graves conséquences sur la vie privée ou la carrière des juges soit motivée par des arguments objectifs et vérifiables, et strictement proportionnée à l’objectif poursuivi. Cette protection fonctionnelle, a-t-il ajouté, est toutefois sans préjudice du fait que la responsabilité disciplinaire ou pénale des juges peut et doit parfois être engagée pour préserver la confiance du public dans les systèmes judiciaires.

Dans ses observations introduisant le dialogue de clôture avec la secrétaire générale du REFJ, Stanislas Adam a évoqué quatre axes ayant émergé des discours et des discussions :

(a) la nécessité de développer et d’approfondir la conscience de l’objectif pour lequel nous nous engageons tous dans la justice, à savoir la confiance du public ;

(b) l’importance de trouver un équilibre dans notre approche de toutes les questions liées à la bonne administration de la justice (gouvernance à plusieurs niveaux, responsabilité et qualité, transparence et confidentialité, etc.) ;

(c) la curiosité sans laquelle nous ne pourrons pas nous investir dans la « révolution culturelle » de la digitalisation ; et

(d) un engagement absolu non seulement à atteindre nos objectifs à court terme dans nos bureaux judiciaires, mais également à continuer de réfléchir à la nature de notre fonction dans la société et entreprendre ainsi des formations.

Intervenants et modérateurs

Le REFJ remercie les intervenants et modérateurs suivants pour leur précieuse contribution à cet événement :

– Gilles Accomando
– Stanislas Adam
– Thomas Cassuto
– Emmanuel Coulon
– Francesco Depasquale
– Ingrid Derveaux
– Richard Devlin
– Silvia Dimitrova
– Anke Eilers
– Marco Fabri
– Monika Fraçkowiak
– Gianluca Grasso
– Keri Grieman
– Ivana Hrdličková
– José Igreja Matos
– Martin Kuijer
– Villu Kõve
– Emmanuelle Laudic-Baron
– Filippo Michael Musca
– Evgenia Papadopoulou
– Roxana Ioana Petcu
– Betlem Roíg Mateo
– Raffaele Sabato
– Herman van Harten
– Dalia Vasariene
– Fernando Vaz Ventura
– Tatiana Veress

Institutions de soutien

Le REFJ est également reconnaissant envers les organisations suivantes pour leur précieux soutien :

– Cour de justice de l’Union européenne (CJUE)
– Cour européenne des droits de l’homme (CEDH)
– Conseil de l’Europe
– Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise)
– Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ)
– Conseil consultatif des juges européens (CCJE)
– Réseau européen des services d’inspection de la justice (RESIJ)
– Réseau européen des Conseils de Justice (RECJ)
– Magistrats européens pour la démocratie et les libertés (MEDEL)
– Réseau des présidents des cours suprêmes judiciaires de l’UE
– Association des juges administratifs européens (AEAJ)
– Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC)
– Institut international de Syracuse pour la justice pénale et les droits de l’homme